LA PROPHECIE du Roi CHARLES VIII
Et puis elle, par
son moyen, Au roy Alfonso d'Aragon Fist entendre qu'il estoit sien Et
ly porta en sa maison. Le roy le print ou sien ou non. Si vous diray, sans
point de fables, Comment et [de] quelle façon II le fist après roy de
Naples.
II est notoire que le bon roy René, Estant tousiours roy de
Cécile, En la Cécille avoit ordonné. Tant au royaume que en l'Isle; Par
le pays en chesque ville, Françoys il mist en garnison, Lesquelz furent à
mort très vile Mys, et par grande traïson.
Premier, en l'isle de
Cécille Devez savoir que les Françoys, De nostre coustume et
stille, Furent aux dames fort courtoys; |
Mais Céciliens, l'an deux foys, Leurs femmes point ne
cognoissent Pour leur péchié souventes foys, Dont leurs femmes trop
angoissent
Par toute l'isle que tant que dure Le jour de Pasques,
soyez seur, Tout en ung jour et en une heure Dans l'esglise fut le
malheur; Françoys recepvant leur sauveur Tous agenoullez par
esgaulté, Ces Céciliens plains d'ordure Les tuarent par grant
cruaulté.
Du pape furent ilz mauldiz De maldiction
éternelle, Pource qu'en l'esglise meurtriz Les avoient par façon telle
; Puis pour argent et par cautelle Furent absoulz, o pénitence Qu'ilz
portent deul, noire gonnelle, Pour la mort de ceulx là de France.
Et
puis cest ysle au roy d'Espaigne Se donna; sienne fut depuis, Affin que
l'on ne les regaigne, Et pour peur d'en estre punis. Veyrent le roy René
petis, Foible d'armes et d'ordonnance. Villains leur seigneur, je le
dis, Priver du droit n'ont pas puissance.
Napolitains
semblablement Leurs autres Françoys à oultrance Tuer vouloit, mais
vrayement Ce ne fut pas bien en leur science. Car les Françoys, sans nul
dobtance, Qui là furent en garnison, Bien adviséz par providence, Les
tenoient en subgection.
Mais soubz la main, secrètement, Mandarent au
roy d'Aragon Qu'il vint à Naples puissamment; Et de Naples ly firent
don. Ainsi fut René, le roy bon, Et le duc Jehan qu'estoit son filz, De
Naples par leur trayson Chassez dàhors et expellis. |
Le roy d'Aragon donna Naples A Ferrando, son filz
bastard, Lequel ne fut pas roy mais diables. Qui leur faisoit bien à la
part, Puis dirent: « Le diable y ait part, « Quant chassasmes le roy si
bon, « Bon temps avions matin et tard; « Si mal avons, c'est bien raison.
"
Son filz Alfonso, borgne, louche, Filz de Marran et de
Marrane, Ces Napolitains il vous touche Et charge coups com à ung
asne. J'ay veu la gent napolitane, Que pour appeller ung Marran Estoit
pendu à la doane En la faveur du Cathalan.
Or ay je veu
Napolitains Crier à Dieu, à haulte voix, Tant qu'ilz peuvent, à jointes
mains : « Dieu, envoyez-nous ces Francoys ! « O mon Dieu, qu'il y a grant
choix, « Nous cognoissons bien noz erreurs ; « Ces bons Françoys doulx et
courtoys, « Si sont noz naturelz seigneurs. »
Cy les prins à
réconforter : « N'ayez en ce nulle doubtance « Que Dieu fera cy
transporter « Charles le noble roy de France. « II est duc d'Anjou, de
Prouvence « II est conte certainement ;
« Et si a bien autre
puissance « Que le roy René vrayement. »
Quant j'euz ce dit,
respondirent Napolitains par grant souspir : Hélas! hélas! et
puis dirent : « Dieu éternel vous vueille ouyr ; « Qui duc d'Anjou est
sans faillir, « Et de Prouvence conte soit; « Jhérusalem ly doit
venir « Et roy de Cécille estre doit.» |